Taire

19/04/2025

La voix lui dit de se mettre dans une position confortable et de relâcher ses muscles. De plus en plus, au fil des mots et de la musique lancinante, elle se dit que oui la mâchoire est détendue, les pieds aussi, la tête est lourde, des bâillements viennent. C’est une séance de méditation orientée. Elle sonde de ses doigts son ventre. Les doigts s’enfoncent dans l’épaisseur de son bas-ventre jusqu’à pointer et sentir une douleur bien précise. La douleur est ronde et échevelée. La voix demande une visualisation : la douleur est un soleil électrique. Les deux doigts s’enfoncent au centre d’un « soleil » noir presque gribouillé. La voix demande une extraction du visuel, de le faire sortir ou d’épouser cette chose que la femme s’est mise à voir. Elle se lève.

Morne, gardant son état de mi-éveil, elle transite jusqu’à la cuisine, se saisit de la cuillère dans l’évier. Elle relève son haut, rapproche la cuillère du ventre puis, d’un coup de cuillère, mime de faire sauter hors d’elle le soleil noir qui se niche sous son nombril. Elle projette la cuillère d’un coup sec au bout de son bras de haut en bas vers le sol. Elle a jeté le soleil. A l’emplacement imaginé de la chute de celui-ci elle soulève son pied puis fait retentir sa semelle sur le sol. Elle a écrasé le soleil. Elle repart s’allonger. La visualisation se poursuit. Sous la peau, le creux béant laissé par sa précédente action est maintenant couvert d’un pansement. Les deux frontières de chair à l’intérieur de son bas-ventre débutent un long travail pour se retrouver sous le pansement. La séance se termine.

La partie la plus épaisse de son corps, voilà où nichait le soleil. Cette couche de peau est arrivée à la grossesse et n’a jamais voulu partir. Pourquoi cette bouée perdure-t-elle par de là tout usage utile?  Que trouve-t-elle à protéger, que trouve-t-elle à nourrir? Peut-être que maintenant le soleil parti… Ce n’est plus une niche. Son enfant est grand. 

C’est flou mais elle ressent toute l’énergie qu’elle avait déployée ce jour de juillet 2008 en haut du Charmant Som. Il y avait du monde, oui plein de touristes. Et le veau était né. Il était très beau avec ses grands cils et ces quatre membres en chasse-neige. Elle l’avait soulevé de terre, il s’agissait de trouver un espace loin de la foule, déjà les appareils photos fusaient. Elle se rapprochait de l’étable, heureuse que son labeur se resserre et s’écoule. Puis clac, une décharge électrique lui traversa le bas ventre. Le veau n’avait rien pris. Et la vache suivait sans soucis le parcours de son petit en lévitation entre les bras de la femme. L’enclos était prêt pour eux, la mère et l’enfant vache. Il n’y avait qu’elle, la femme, qui trébuchait soudain. Et repartit finir sa mission. C’était un fil électrique, monté en puissance pour un spécimen de plusieurs centaines de kilos , assez fort pour s’en souvenir. A la juste hauteur de ce «jus»  qu’elle s’est pris en travers du ventre, bien avant la grossesse, s’est retrouvé plus tard le « soleil » de la méditation.

Elle demande au père, il se souvient du veau. Elle se souvient du père. Ce qu’il était à l’accouchement. Il avait tenu sa main tout à la fin, cela faisait trente heures qu’elle aurait souhaité des caresses, des massages et des mots. Le bébé était beau.