Pour Pierrette Bloch

20/05/2018

Le dessin chez Pierrette Bloch est un art du morse, de la cadence, de l’inspiration, de la retenue et du souffle. Chaque trace de Pierrette Bloch est un bond sur une feuille de papier, une gesticulation à propos et enfantine. Elle caresse la feuille avec de l’encre, du crin ou du fil. Elle caresse le vide, avec des mailles de laine. Elle ne s’y plante pas. Elle parcoure le support de sauts respectueux et le laisse vibrer au côté des traces et des lignes. C’est une colocation qui se met en place entre l’artiste et la surface travaillée. Jamais elle ne bâtit, n’épuise les ressources, n’efface les fondations sur lesquelles son pinceau ou son aiguille dansent. Le papier ne s’oublie pas. Il est une matière non déformée qui boit, se perce, rejette, capture avec laquelle l’artiste vient jouer, pleurer, douter… Cette vie s’ajoute sans retirer, n’existe au détriment de rien. C’est un terreau, comme un sol qui fait pousser du noir et du vide entremêlés.
C’est un noir de couleur, dont Pierrette Bloch se fait la ventriloque. Un noir qui ne creuse pas, un noir qui jaillit sans s’enfoncer, sans écraser la feuille blanche ou crème, qui loge avec le papier et non dessus. Pierrette Bloch est décédée en 2017. Elle a traversé le 20 eme siècle sans figuration, sans s’attacher à une époque ou un courant. Avec Pierrette Bloch, il n’y a pas de sujet, rien de proéminent servi par un contexte et des éléments annexes. Chacun de ses tracés est au service de lui-même et du tout. Pierrette Bloch maille, tisse, entrelace, ne sculpte rien d’autre qu’un passage, qu’un moment fugace sans jamais retirer de matière.

Pierrette Bloch, bergère d’encre

Quand les autres artistes ressemblaient à des agriculteurs, faisaient grossir et fructifier leur territoire, Pierrette Bloch me faisait l’effet d’une bergère. Elle est pour moi une bergère d’encre, elle arpente, conduit, suit les drailles de l’encre. Que cherchent les bergers ? Dans « composer avec les moutons, lorsque des brebis apprennent à leurs bergers à leur apprendre », Vinciane Despret et Michel Meuret leur laissent la parole pour expliciter les liens aux bêtes, à la montagne, et cette parole éclaire sur les postures choisies par cette artiste.
« la montagne… c’est laisser libre tant que tu peux. Pour moi un berger est quelqu’un qui n’envoie jamais son chien ! » (Sylvain) Les auteurs poursuivent : « mener les brebis à être libres dans une contrainte qui s’efface et qui n’est plus là que pour les réajustements […] parler d’une autorité qui autorise les êtres en présence à faire des choses ensemble qu’ils n’auraient pu faire sans leur mise en rapport ». Le troupeau et l’encre se ressemble parfois dans un rapport choisi, conduit par l’être humain. Ainsi Pierrette Bloch conduit l’encre, la met en rapport avec la feuille comme on pourrait le faire d’un troupeau avec une estive. Elle caresse la terre du mieux qu’elle peut, sans la contraindre. Elle partage son âme avec celle des lieux, comme le fait le berger.