Portraits : ma mère et moi

13/09/2020

Nous portons toutes deux un visage un peu lourd sur le bas, des yeux qui se cachent dans la peau, une coiffure qui exprime ses remous et fait part de ses hésitations. Mais ton teint est à la crème de jour et le mien au jour tout simplement. Un visage d’autoroute sépare le mien du tien, un visage qui s’étire des sommets béton-cadré jusqu’aux pistes, aux chevreuils, aux sangliers. Oui j’abruti ma peau quand tu lisses la tienne. Nos salles de bain ne sont pas deux mêmes, j’y soigne mes griffures et mes ongles teintés de prune quand toi tu les limes et songe à leur courbure. J’ensauvage, tu disciplines. Je bruisse mon visage d’un vent qui étire sa gamme du tilleul au saule, tu abreuves le tien d’un fourbi que je n’arrive pas à démêler: ding, vroum, clac,dring, bla, tap, pschit, cloc.
Nos narines non plus ne se ressemblent pas. Quand j’élève le haut de mon crâne vers le ciel, c’est vers le sillon de mes pas que mon nez s’affaire. Mes narines conversent avec la cité du sol pendant que je perds mes pensées et les retrouve heureuses et enrichies de leur vagabondage. Tes idées préfèrent les étages et le fil de ta pensée a les traits d’un ascenseur. Ainsi la verticalité est de mise, pour ne pas chambouler d’équilibre, les narines un peu relevées, ton nez perce l’air de la rue.
Nos joues sont des marées de lumière, elles parlent en couleur, expirent et sombrent plusieurs fois par jour. Mais les miennes sont capables de crever dans des métros sous terre, quant aux tiennent, c’est l’éloignement des magasins qui les indisposent et les fait taire.
Pour se retrouver on aurait pu construire au fond des yeux de chacune, un jardin, de ces lieux germant et discipliné à la fois; tu y aurais mis de ta rigueur et moi de mon entrain.