Pour Lorie de Stéphane Lavoué

12/06/2018

Stéphane Lavoué

J’ai rencontré ce visage sur une affiche d’exposition. Il s’agissait de photographie contemporaine sur le thème de la Bretagne. C’était un portrait en buste d’une femme de trois quart, au menton penché. Sa figure était emprunte de pudeur avec un soupçon de sourire en coin, les restes d’yeux enjoués. Elle était en costume de travail, on ne voyait pas ses cheveux, sa combinaison blanche englobait son crane et tout corps avec. Elle avait aussi un tablier blanc et épais par dessus et sous son visage. Il est inscrit sur le tablier en lettre manuscrites, Lorie. Oui Lorie m’a bluffée. Avec son teint presque rosé, sa jeunesse fatiguée et son métier qui l’encadre, voilà une image qui m’est restée gravée.

Stéphane Lavoué en est le photographe. Il est parti en pays Bigouden mais est resté à terre, voir et rencontrer ses milliers d’êtres humains employés de la pêche sans voir la mer. Stéphane Lavoué a eu une enfance d’expatrié puis est devenu ingénieur avant que la photographie ne l’attrape par le bout du col et qu’il en fasse son métier. Il a portraituré Vladimir Poutine mais aussi de nombreux personnages de la vie politique française, quelques starlettes du petit écran et tous les membres de la Comédie française.

Lorie et ses comparses, ces anonymes, ont la trempe des visages connus  derrière l’objectif de Stéphane Lavoué. Chaque visage a un creusé, une matière, une posture unique. Le photographe portraiture en extérieur aussi, comme en mise en scène, les Japonais au travail, les hommes indiens gays dans leurs univers, le Vermont et ses agriculteurs. Ce sans-racine sait sortir chacun de son quotidien pour façonner des visages et rendre aux vécus de chacun, un espace pictural d’expression sensible.

Une histoire, un film semble s’amorcer à chaque photo, chaque portrait fait transpirer une ambiance, donne un avant-gout de scénario, un ton émotionnel. Stéphane Lavoué est un fabriquant d’icônes et Lorie représente toutes ces poissonnières, découpeuses, employées de l’agroalimentaire. Elle est telle un nouvel archétype de bigouden, avec retenue et costume, comme ses prédecesseures d’un autre temps.

un visage qui appelle une idée
un dépassement temporel
un transfert de la boue à l’éther
un corps ( photographié) n’est plus chair
ni cri, encore moins passion,
il est devenu ombre ou ciel

une figure s’imprime dans mon vécu
comme une rencontre non-personnelle

celle qui rassemble toutes les poissonnières
les fait sortir de l’usine
raconte en son inclinaison de tête
une faction de ma communauté
J’ai rencontré un archétype
J’ai rencontré Lorie