L’atelier des églantiers : à rebours

23/01/2017

Il est une rose que l’on nomme parfois de chien, de cochon.. coriace elle pousse à toute altitude, au bord des chemins, en alpages et dans les prairies.

Il est dit que Dieu a créé l’églantier et a laissé à l’homme le soin d’en faire une rose. La famille des roses est le fruit d’une fabrication humaine. Celle des chiens, elle, choisit son jardin. Je propose de lui attribuer l’atelier « à rebours » car le chemin qui mène à l’églantier, loin de tout passéisme, de toute chapelle, d’élan primaire écervelé vers la nature, est celui de l’exhumation d’une fragilité, d’une sensibilité oubliées du théâtre geopoliticomédiatique. Il est l’atelier de ceux qui travaillent la matière que le monde technologique considérerait comme inabouti, inexploité. Ils sont des fossoyeurs qui découvrent en creusant.

Corps à rebours

Berlinde de Bruyckere offre des spécimen/corps in-identifiables. Le spectateur se trouve en atelier pré ou post animal. On sent comme une présence qui ne se manifeste jamais. Un maître y œuvre sûrement pour assembler ou décharner ces volumes. Et l’art magistral de Berlinde de Bruyckere est d’être à cette limite entre reconnaissance et manque, le spectateur a l’impossibilité de positionner son propre corps aux côtés de ses sculptures. L’esprit du visiteur est tout accaparé à faire sens, clore, refermer ces entités, à les poursuivre, les finir pour expier le non-sens qu’est la vitalité ( illusoire mais bluffante) de ce qu’il a devant les yeux, de ce qui sera ou de ce qui n’est déjà plus.

Les sculptures de Berlinde de Bruyckere
sont dans la fournaise
ou la chambre froide
de la pré-genèse.

Les têtes sont piégées
entre deux couches d’espace

L’esprit se resserre
comme dans les geôles
du blanc papier

Une aire s’ouvre
L’artiste y laisse
les formes indistinctes
de presque êtres

Leur carne est
prête à en découdre
avec cet espace qui leur tord le cou

Le spectateur cherche tant,
entre les plis tranchés de l’air,
un reste, sans place, qui hurle.

 

Cet atelier, je l’imagine plus comme un chemin qu’un lieu… il en sort des œuvres qui font le choix de la synthèse, comme des témoignages de voyage et les artistes font parfois celui de l’histoire. Gaël Davrinche reprend des portraits d’époques révolues. L’indice de leurs attributs nous renseigne, appelle notre reconnaissance puis, à coup de brosse, à coup d’escamotage, d’élan pictural, la singularité et l’ambivalence de recréer leur présence parmi nous prend le pas. La peinture empaille, créer des Lazare et Gaël Davrinche conjure ce sort, à l’huile, à la feinte d’un visage, à la singerie d’un costume.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour Gaël Davrinche

 

Une infra figure

exilée entre

la feuille de l’histoire

et celle d’aujourd’hui

se colore

d’oubli et de souvenirs

 

elle est une bave

une poche embryonnaire

une tempête anti-portrait

 

le pinceau

a pris le trône

s’est accaparé le visible

 

l’abondance de traces

souffle et prison

élan respiratoire

conditionné de chaînes

 

A toi belle cadenassée

à robe d’huile

perdue dans un carré vert

prévu pour elle

rien que pour elle

 

l’enfance à rebours

Un atelier à rebours s’accapare (forcément) (en partie) le territoire de la mélancolie. Une langueur tendre et douce.Une création qui a à la fois la robustesse et la délicatesse des pétales d’églantines. Celle de Christophe Marguier pince le cœur évanoui du spectateur, il sacre l’oubli d’or, met de l’attention là où le quotidien nettoie jour après jour. Il travaille le souvenir de la saveur que l’on donne et retrouve aux tissus, papiers peints, lettres, jouets, cornets de glace.

 

 

 

 

 

 

 

 

Christophe Marguier – Sacrer l’oubli

Le piédestal convient aux adultes
La forme est celle de l’enfance,
L’intention souhaite ne plus être dupe.

Le temps passé se mesure à l’éloignement du toucher, nous raconte l’or.

Peter Pan ne viendra pas et Christophe Marguier crée les vestiges d’une fuite qui s’est faite à petits pas.

L’objet parle à l’esprit, fige le manque, sacralise l’éphémère perdu.

L’artiste taille des monuments dans le métal
Aussi petits que nos doigts le furent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les églantiers s’oublient dans le paysage. Rares sont ceux qui les admirent. Leurs fruits sont difficile à dompter, pourtant les chevaux s’en délectent ; ils signent un paysage qui « se referme » pendant que leurs rouges rehaussent les teintes hivernales. L’ambivalence se montre parfois lente à être accaparé par l’œil ou le jugement de l’homme occidental. L’artiste joue alors pleinement son rôle de « gratte-cul » en révélant cette ambivalence, cassant ainsi les rubriques rapides et nettes. En photographie, certains tirages sont oubliés au fond de boites, passant de main en main. Annabel Werbrouck, fait vivre leur énergie intrinsèque par couture et confrontation. Elle instaure des « et » entre les tirages, c’est à dire des interstices d’interprétations, des gouffres de nouveau monde dans lesquels le spectateur peut se plonger avec délectation et sans retenue.


L’homme d’Anabel Werbrouck

L’homme
veste
ou nuage
perdu dans un mystère
il n’use que
peu des mots

Bloc tendre
calé dans un costume
ils se pendent à leurs actes
comme nous à nos rêves

Gratte-cul

Les artistes de l’atelier de l’églantier confèrent une puissance au temps et non au chronomètre. Ils le cherchent au fond des formes, comme une durée qu’on extirpe d’une expérience.

Rebattre les cartes de l’ostentatoire et de l’oubli. Un retrait humble de notre monde « hors-sol » pour une autre traversée des ages. C’est le choix d’un nouveau filtre pour l’importance que l’on donne aux choses. Ceci a pour effet de revoir les cadres, les évidences. Par delà la découverte d’œuvres actuelles cette démarche invite à regarder, de plus belle, celles du passé.