Des nouvelles du numérique

03/08/2018

Extrait de la série Planètes – Valérie Legembre

Il est un continent où nous macérons, où l’on s’y trempe jusqu’à une ultime décoction. Ce continent se nomme numérique. Une fois entré, on nous somme d’y resté, on nous dicte la marche à suivre, celle-ci change, elle se transforme, alors on reste, on s’accroche. Ce continent a aspiré nos démarches administratives pour s’en faire une production vivrière. Nous y sommes de plus en plus des touristes en voyage organisé. Ce continent nous enveloppe dans nos usages. Il est comme une couche, un cocon au départ confortable, qui se resserre de plus en plus. Il se fait nécessitant, requièrant plus de texte, de mémoire, de sécurité, de manipulations, elles-mêmes de plus en plus complexes ou bizarres. Le numérique aspire nos actes, les avale dans son cortex. Où sont passés les bas de laines et les placards, auxquels personne ne touchait? Nous avons de nouveaux classeurs, on y laisse fouiner google. Nos trésors sont à tous.

Un bout de poésie se niche forcément, quelque part, dans ce nouveau continent, mais où? Pourquoi pas au cœur du point de départ, au fin fond d’une puce électronique. Valérie Legembre, photographe-plasticienne travaillait à ST Microelectonics, en tant qu’opératrice en salle blanche. Au fil de ce travail utilitaire, son œil de photographe passe les barrières de sécurité, se met à fonctionner même en tenue blanche intégrale. Au nanomètre, quelle surprise. Elle rapièce des jointures au microscope. Avec l’accord formel, écrit, signé de ses employeurs, elle peut dorénavant photographier ces bribes de nouveau monde. Une géométrie codée, travaillée comme un langage, des couleurs séduisantes, voici les tapis, les tapisseries, les motifs identitaires du numérique. Il s’est construit un décor de silicium, une langue hiéroglyphique. Bien loin des monuments hyper-visités de la cité numérique, Valérie Legembre démontre qu’au fond de ce continent niche la culture propre d’un monde invisible. Une culture qui a sa propre poussée intime bien loin des diktat du market, une culture qui ne se sait pas elle-même.

Bien loin des centres- ville de ce nouveau continent, vivent aussi des danses. Des danses où les algorithmes font mine de respirer, de descendre en pesanteur, singent des tourments. L’humain y voit du vent, de la lumière, de la pluie, des tourbillons. Les théâtres d’Adrien M et Claire B, sont comme un fil de saisons en terre numérique. En une heure à peine, on parcourt une année climatique. Ce sont des intempéries avec lesquelles l’acteur ou le danseur converse, sur lesquelles parfois il intervient. Des points de lumière se mettent à bouger au passage des bras, des jambes, des mains. Quand il pointe l’index, un point lumineux vient ricocher directement dessus puis rebondit dans l’espace. Une actrice tourbillonne et les points se transforment en jets tournoyants de lumière. Le réel et le virtuel sont en perpétuel conversation. Adrien M et Claire B ont créé l’océan, le pont des rencontres non-formelles, dictées pour la poésie et non le politique, le commercial ou l’utile. Le code et le corps jouent ensemble, ils dansent ensemble. L’un parfois nargue l’autre mais les rapports de force sont équitables.


Alors bien sûr, sur notre bonne vieille terre réelle, à grand renfort de Printemps du numérique, de bourse dédiée aux initiatives artistiques dans le champ du numérique, le politique et ses gros sabots tente d’user de l’art car l’art délivre comme il se doit, comme de tout temps, entre autres, le message des puissants. Pour créer les marques du futur, qui marqueront les esprit du présent, on forcera la révolution des usages avec l’art en étendard. Heureusement que certains plasticiens et artistes du spectacle vivant sont là pour nous faire converser avec un numérique de vie, avec un continent somme toute riche de danses, de moeurs, de langues et d’images.