Derrière la vitre

08/01/2019

Derrière la vitre

Et si nous regardions les oeuvres comme on admire et analyse un monde lointain, derrière un télescope, derrière une vitre. Dans les circonstances scientifiques comme dans certains contextes artistiques, c’est derrière du verre qu’un monde, aux dimensions et conditions hors de nous, se dévoile image. Notre corps n’est pas très proche de cette vitre, on prend du recul, le télescope est long, quelques mètres parfois. Une vitre, comme un tremplin vers notre sujet. Cette capsule de verre nous fait naviguer jusqu’à un autre espace-temps. Enfin soyons précis, le temps n’est pas une variable importante, je l’ai appris avec Carlo Rovelli dans son livre L’ordre du temps. La notion de présent est sans fondement quand on envisage tous les fonds de l’univers. L’oeuvre en est un à l’image de n’importe quelle aire de galaxie.

Me voici face aux encres de Pascale Parrein, je prends mes tripes et les connecte à l’oeil, j’oublie toute connexion temporelle et je me lance dans cet écrit.

Pour Pascale Parrein

Encre et fusain 42x60cm 2017

Pascale Parrein – Intimité 13 – Encre et fusain – 2017

Comme un passage

à vide

à blanc

au singulier

la figure se déchausse

du clair de la feuille

et l’humecte tout de même

de la vibration de sa présence

elle semble beaucoup plus cardiaque

que cérébrale

et ses poumons

non loin du cœur

s’activent à plein régime.

«  Le temps n’est pas unique : il y a une durée différente pour chaque trajectoire (…) le temps n’est pas orienté : la différence entre le passé et le présent n’existe pas dans les équations élémentaires du monde. » C.Rovelli – 110

L’oeuvre est une rupture sensorielle.

On peut alors se prendre au jeu de l’astrophysicien, choisir la posture intellectuelle de quelqu’un pour qui le temps n’a pas de sens, choisir le prisme d’interprétation, les chaussures d’un qui ne connait pas le temps. On regarde une oeuvre comme un signe d’un monde lointain avec une force de découverte neuve. On regarde une oeuvre et l’on voit un bout du bouillon entropique, un espace d’échange de chaleur. Cette idée du temps linéaire que l’on colle si naturellement à nos phrases, à nos pensées, n’est qu’une conséquence de notre vision floutée, de notre vision vécue sans appréhension quantique. Nous sommes des évènements et les oeuvres aussi.

« Le monde n’est pas un ensemble de choses, c’est un ensemble d’évènements. (…) Le monde est fait de réseaux  de baisers, pas de pierres (…) A tout bien considérer, même les « choses » qui nous semblent les plus « choses » ne sont en fait que de longs événements. » C.Rovelli – 117

Dans l’atelier de Luzia Simons

c) L.Simons Fabian & Claude Walter Galerie, Zürich

Dans un monde

sous verre

l’assaut des plantes

devient un réseau de rues

pour les sens et pour l’œil

*

avec leurs feuilles

les plantes jouent pour une place

devant le miroir, devant la glace

qui nous sépare d’elles

Elles expirent tant et tant

puis s’effeuillent

se cambrent à tout va

Elles offrent

des données montagneuses,

des chambres, des chemins

Les tulipes sont en plein jeu politique

elles convoquent des rouges à lèvres,

et des face à face, des placements

et des promesses

Elles ont aussi inspiré l’air

l’ont gardé pour elles

Au fond de quelque poumon

elles s’impliquent dans leur rôle

sur scène et en joue

L’image du bout du télescope, n’est rien, ne s’interprète sans l’oeil qui est partie la chercher. Devant l’oeuvre c’est idem, on explique en se connaissant soi-même , on est son propre point de départ. On comprend par les sens, en ajournant les durées et les vitesses pour ne garder que l’angle de vue. Rovelli m’a dit que le temps était thermique, que le monde tournait grâce au déplacement de la chaleur. Alors j’ausculte ce que l’on perd de soi à l’image et détermine ce qui a été ajouté. 

Notes:

Carlo ROVELLI, « L’ordre du temps », Flammarion, 2017, traduction française 2018.