Chère Candy

31/03/2021

Chère Candy,

Notre conversation d’aujourd’hui m’a rappelé celle que nous avons eu il y a peut-être dix-huit ans maintenant. C’était au début de ce siècle, t’en souviens-tu ? Nous étions attablées au bar près du TNS où tous les étudiants philosophes et théâtreux que nous n’étions pas, squattaient. J’avais vingt-deux ans et je pleurais de ne plus croire en ce que je voulais être. C’était la conversation où je te disais que tout ceci était bien vain, si je ne rencontrai quelqu’un pour construire quelque-chose. Quelques semaines ou mois plus tard j’ai rencontré un homme que je viens de quitter, père de mon enfant, j’ai vécu dix-sept ans avec lui.

Je me ressemble. Toujours, malgré les bornes, malgré tout ce que je ne pensais jamais faire maintenant fait, je me ressemble toujours. De nouveau seule, encore une fois j’ai peur, d’un moi tout seul. J’ai peur du gouffre d’une tristesse sans limite bien triviale peut-être mais si mienne que tu vois, ici maintenant, j’essaie encore de m’en défaire, de la planter ailleurs que dans mon foie, mes tripes, ma tête aussi. Et tu es là et tu me calmes. À l’époque, nous avions bien ri de mon désarroi si grand pour un si petit âge ; faut dire que je ne sais être l’amoureuse d’un soir, je ne suis pas d’une simplicité à tout va bonne à satisfaire.

Aujourd’hui on peut dire que j’ai réalisé cette chose que je pensais si hors de ma portée. Et même si une forme d’accomplissement pourrait m’envahir, le corps n’est pas ainsi fait, à se flatter. Il pleure toujours des manques nouveaux, ou d’anciens revenus.

Je me retrouve jeune, à te parler d’hommes que je n’ai pas, de ma confiance qui se dérobe en un fossé noir. Suis-je la légitime de mes ardeurs ? Et toi tu désenfles, tu dédramatises, tu pars nous resservir un thé. C’était toi et c’est marrant qu’aujourd’hui encore c’est toi à qui j’ai dit tout ce que j’ai dit aujourd’hui. J’aimerai y voir un signe, mais c’est pas bien, c’est juste le présent qui se panse, tellement ouvert que trop d’air s’engouffre en lui. Chère Candy, aujourd’hui on a des gosses et plein de blessures, un brin d’expérience mais on n’a pas changé l’équipée amicale. Telle se conte notre riche histoire.