Laure Gilquin et les vents souterrains
10/10/2022
Laure Gilquin et les vents souterrains
En 2022, Laure Gilquin est à un moment pivot de sa démarche artistique. Dessin et photographie noir et blanc ont ouvert le cercle de production au son, à la terre, aux installations, à l’objet. Comme un orchestre qui se chauffe, demandant à chaque instrument de sortir une seule note, les pièces de Laure Gilquin expirent une même fréquence, quel que soit leur matière, leur sujet, leur époque de création. C’est cette fréquence qui fait toute la singularité de son œuvre, un même shoot aux yeux et aux tripes qu’importe le chaud, le froid, la petitesse du format ou l’étendue de noir. Une onde : le frémissement de l’inconfort.
Laure Gilquin débusque au Mexique, au Sénégal et au Burkina un rapport au noir, la nuit lui sied. Ses tirages baignent dans une bassine d’encre sans repos, vivent d’une palette au spectre serré, mouvant et diagonal.
De retour à Berlin, la série Erosion signe l’aboutissement photographique de sa recherche d’un grain fort, d’un rayement des lignes. Dans cette série, la nuit n’est pas tant l’intranquille que son révélateur, elle délivre au béton l’entière étrangeté de sa présence. De nuit toujours, comme un amas d’étoiles, un monticule de sable se portraiture. Le sable, celui du chantier, celui de la ville, des parcelles éventrées, en dévers à l’air sans plus de béton pour les recouvrir. Des dunes devenues citadines, un revers de ciel.
Depuis les années 2020, Laure Gilquin va dans son atelier en forêt. Sous les arbres et un toit, des cimaises blanches accueillent l’inconfort. L’artiste jardine une onde, un battement de terre et ses secousses. Les yeux fermés, elle serre, elle étire, glisse, guette un trépignement. Le brouhaha extérieur n’est plus le bienvenu : le corps tout entier écoute les secousses d’une matière, entre en sympathie avec elle – au sens begsonien du terme. Laure Gilquin avive la matière, masse son poult, surprend le signe de l’inconfortable état de l’argile qui s’accroche. Elle lui donne voix aussi lorsqu’elle enregistre le son de l’argile crue qui se dissout dans de l’eau.
Au cœur des propositions artistiques, le sol, le mur, des poches accueillent ou portent racines et verres soufflés. Des pauses, non, plutôt des blanches, des veilles, des silences, des tremplins ponctuent autant de torsions rapides, crispées dans un arrêt. Ces installations sans centre, sont telles des démultiplications de tons, des partitions parfois étouffées ou braillant, jamais tranquille.
La forêt convoque un lieu d’épanouissement tendre pour les vents souterrains. Elle prodigue de l’écoute et de la magie, pour l’inconfort aussi.