Cornes et corbeaux : Claire Morgan à la Galerie Karsten Greve

17/11/2021

Claire Morgan a fait voler ses installations d’aires, de plumes et de cornes depuis son atelier jusqu’ à la Galerie Karsten Greve à Paris. Le terme « renewal » tiré du titre de l’exposition est tout à fait approprié pour ce nouvel opus. Un personnage, une nouvelle forme, ligne, matière fait son apparition dans le vocabulaire de l’artiste : la corne. Présente dans de nombreux dessins, des silhouettes humaines tentent un corps à corps avec celle-ci. Deux somptueuses installations la font figurer. L’une a pour épicentre la rencontre entre la pointe d’une gigantesque corne et d’une aire de graines de chardon suspendues. Au fond de l’exposition, l’œuvre Snag accapare l’espace : de multiples peaux d’animaux superposées les unes aux autres versent de part en part d’une corne dressée, leurs plumages et leurs fourrures. 

vue de l’exposition

Des peaux comme des archives d’êtres. Ainsi l’artiste éveille chez le spectateur, la tristesse, la perte… la colère et l’impuissance également. Un deuil implacable. Ces peaux d’êtres non domestiques – le renard, le blaireau pour exemple- peu aimés de la collectivité humaine, vivant à la périphérie de nos habitats, font l’objet de l’attention de l’artiste depuis ses débuts. Mais cette fois-ci le travail de taxidermie de Claire Morgan ne brave plus la pesanteur ou l’illusion d’un mouvement, nulle pose n’est conférée à la peau, plus aucun animal ne veille, ne s’élance. Les entités taxidermiques ne sont pas ici des volumes parfois majestueux d’envol comme elles purent l’être dans des pièces emblématiques de l’artiste au début des années 2010. La consistance de quelconque corps n’est plus singée, l’émerveillement se teinte de tragédie. Comment allons-nous amorcer un renewal, depuis cet état de désolation puissante que l’artiste tisse en chaque spectateur ?

Le plastique en des aires coniques vient emplir ou jaillir des peaux d’étourneaux retournés, à la tête tombante. Le plastique utilisé dans son entière ambivalence, de couleur joviale, fait perdurer de lui-même un élan, une sensation de suffocation ; il crée un surplomb caustique et dansant au-dessus de ce qui reste, de ce qui fut un animal.

Morning for Real (C) David Lawson

Un effet tranché, une dichotomie assumée ressort de l’exposition : quand les aires de plastiques éventrent, « se nourrissent » des peaux qui les accompagnent en sculpture, celles faites de graines, épousent, relèvent, caressent, suspendent, prennent soin. Il en est ainsi de trois sculptures sous verre. Dans celles-ci, des corbeaux taxidermisés, comme au-delà de l’épuisement, viennent prendre ce qu’ils peuvent d’appui, de soulagement auprès des aires de graines de chardon. Ainsi reposent leurs ailes, leurs becs, sans choir encore pour l’heure, sans tenir plus longtemps non plus.  

On ne peut clore cet article ni sortir de cette exposition sans évoquer, sans s’imprégner des Blood Drawings de Claire Morgan. Ces dessins, de tous formats, prennent naissance au début du processus de taxidermie. La méticulosité de l’artiste cueille, réceptionne le sang, les traces viscérales des corps morts travaillés. Et des gestes, des couleurs, des sensations de Claire Morgan mêlés aux dernières traces de l’animal naissent courbes et explosions d’une fougue qui nous émeut, nous transperce aussi.

« We are animals too »,  insiste Claire Morgan à chacune de ses expositions, de ses entretiens. Alors à quand un renouveau, un renewal ? La catalyse émotionnelle de l’art de Claire Morgan aura-t-elle lieu, fera-t-elle renaître l’envol par-delà les ailes des oiseaux taxidermisés ?