Chronique « se rendre »
20/04/2022
Karine Maussière « arpent[e] un lieu et ce qu’il dit de nous et le cartographi[e] autrement, écri[t] depuis cet espace autant géographique qu’intérieur et accept[e] une forme de reddition à l’ordre du monde, contre nos artificielles fabriques fictionnelles. » Voici que je paraphrase le très bel article Régler ses contesde Christine Marcandier pour parler d’une artiste plasticienne. C’est parce qu’une idée traverse le texte de C. Marcandier, une idée qu’elle évoque pour la littérature et que je souhaite lui emprunter pour un petit bout de chemin du côté des arts visuels, du côté de la photographie de Karine Maussière. Cette idée, c’est celle de se rendre, c’est idée c’est celle de « la reddition à l’ordre du monde ».
L’artiste Karine Maussière, se rend à l’île de la Réunion dans tous les sens de ce verbe. Elle est partie y vivre, partie s’y diluer, se fondre en ses chemins, son ciel, sa roche, partie se clore sous le végétal, l’élever en des murs nouveaux. Karine est partie couper les cartes, faire de chaque coin de ciel une expire, c’est-à-dire qu’elle cadre au polaroid et puis étire les lignes avec de l’or et du crayon.
Elle me conte le cordon ombilical de cette île qui la relie au reste de la terre. Elle me conte aussi la constellation d’Orion au-dessus d’elle chaque nuit. Voilà ce qui donc la traverse. Une verticale terre-ciel est à l’œuvre, une verticale sans pointillés, mais quelle ligne de force sur laquelle l’artiste se joint ! Cette ligne terre-ciel est une posture artistique, une ligne nouvelle, du cordon à voûte pour narguer l’horizon, pour défaire des siècles de paysages calibrés à et pour la vue de l’homme. L’œil, même en photographie, n’est plus maître à bord ; les pieds, les tripes, le sommet du crâne dans leur ensemble et leur reliance sensible aux textures tentent de ne plus faire murmure mais d’élever un peu le ton.
L’artiste éteint presque sa présence au profit de ce qui la traverse, elle se met au service d’où elle est, son travail est où elle est.
Géographe-libre, éthologue-libre, les artistes rapprochent leur démarche des disciplines de la géographie et de l’éthologie. L’œuvre devient alors une recherche historique, éthologique, biologique, mais elle est également œuvre de porte-parole pour un territoire. Ainsi en va-t-il de Karine Maussière à l’île de la Réunion.