Au hameau

14/01/2020

C’est une maison sans ergonomie. Sa porte d’entrée grince et il faut soulever délicatement la poignée pour ménager les carreaux qui la composent. C’est une baraque de bois posée sur une grande dalle en béton brut. Les chiens et les chats y viennent et repartent allègrement laissant leurs empreintes mouillées et quelques herbes en guise de trace. Parfois ils s’aventurent sur le canapé intérieur quand le maître, peut-être, est trop loin pour s’en préoccuper. C’est une maison construite à plusieurs mains de passage, les unes après les autres, calibrant la hauteur de l’évier, la circulation des lieux, l’ouverture des escaliers à une stature, à une envie qui n’est que celle de l’occupant du moment.
L’eau s’évacue au tuyau et part en pente douce jusqu’au tas de longs troncs qui jouxte la haie du terrain. Les églantiers y ont pris de la hauteur et se mêlent aux affaires du noyer qui ombrage le rond de longe. Et tout est herbe émaillée de tiges oubliées à faire le ventre des béliers puis des chevaux. Ces derniers, on les entend, ils tournent et hennissent, s’ébrouent. Ils sont quatre en ce moment. Toute une partie de la maison aurait dû leur être dédiée. Reste aujourd’hui la sellerie qui ne perd jamais son teint ni son odeur de cuir. C’est l’endroit noble et rangé au petit hublot. On y entre par la porte coulissante de derrière, celle que l’on cale avec un vieux parpaing. On tourne à droite pour aller à la sellerie ou on se retrouve auprès des frigos qui ne fonctionnent plus ou pas encore, auprès des malles et des cartons pleins de vies endormies. On y entasse aussi des jouets désossés en attendant le prochain trajet pour la déchèterie.
Pour donner de l’eau aux chevaux, il faut aller un peu plus loin, longer deux grands congélateurs, monter à l’échelle et ouvrir la vanne du tuyau vert. Alors l’eau coule jusque dans l’abreuvoir où sont venues mourir trois mantes religieuses gonflées d’une promesse d’eau. On referme la vanne. Le linge propre n’est pas loin. La machine à laver a elle aussi son tuyau d’évacuation de ce côté nord. Le linge sous le bras. On referme la porte et on cale le parpaing. L’enfant revient de l’école. Il se sert un goûté dans la cuisine/salle de vie assombrie. Les rideaux sont tirés pour ne pas nourrir le chaos voyageur des mouches. 4 rubans tue-mouches travaillent aussi à cet ouvrage. Tout ici est bois, livres et dessins. Tout meuble est courbe. Le carré des fenêtres est démis par des plans de planches à la découpe sinueuse. Plus d’écorce mais pas de laque non plus. Et caché, derrière le bois, un peu de laine de mouton.
Ce qui est grandiose, sans pareil, c’est qu’à travers toutes les fenêtres, et surtout à travers l’immense baie vitrée du côté salon, si on oublie les mouches, il n’y a que du vert à voir, du vert ou des branches selon la saison. Des écureuils bouinent derrières les carreaux, des pies inspectent et tout un tas de couleurs du ciel sont nôtres à surveiller par leurs jets. Oui cette maison est enfouie, pas si loin du hameau, pas si près de la bergerie, derrière tant de petits arbres, avec un petit bout de piste et une boite aux lettres.
Quand le vent souffle et que le parpaing tient bon, l’entier châssis de la maison bouge, se resserre sur ses habitants emmitouflés dans leurs lits. Les loirs et les souris ne bougent plus, les murs trouvent un autre chant. Ils glapissent et semblent tournoyer comme la coque d’un bateau pris de tempête. L’accalmie vient à la nuit, et l’on s’aventure pisser dehors. Deux cerfs se répondent et les étoiles au grand complet tiennent conférence.

Il y a une fausse mezzanine en caverne au-dessus de la cuisine. On y entre à l’étage, par une minuscule porte faite pour un enfant de quatre ans ou pour un adulte avançant à genoux. C’est un espace peu utilisé de part son accès, un espace de salle de jeux pour les jours de froid. Et tout au bout de la mezzanine, un lit pour les invités, comme en cabine et sans pourtour.
Au-dessus de la minuscule porte, se tient le plus beau lit, celui qui sous le toit s’étend à l’horizontale comme la baie vitrée qui le suit. Avec celle-ci on s’approche des crêtes, de leur ligne, de leur voûte la nuit.
La chambre de l’enfant, tout à côté, on y tient pas debout. Elle se dessine en pente et on a revêtu ses murs d’une multitude de cartes postales. Le jeune garçon y voit son père traversant le près, rentrer de la bergerie. Depuis son petit lit et sa ferme playmobil, il peut contempler le tilleul et le parc des bêtes qui paissent. Une fenêtre que l’on ne peut pas ouvrir y est intégrée, à même le sol. Il joue peu ici car dehors, il s’est aménagé quatre cabanes dans les fourrés et un atelier au milieu des arbres. Un atelier ou trois palettes posées en un abris sous les branchages. Il en taille certains, il éclaircit ses propres passages à travers bois.
Sous l’avancée du toit, il y a aussi un canapé d’extérieur, défoncé des accoudoirs. Assis dessus, on lit, on boit l’apéro, c’est l’endroit pour fumer sa cigarette et câliner les chiens. On accueille les voisins de passage pendant que le poêle à l’intérieur fait son travail, pendant que l’eau frémit doucement pour un thé pas encore prêt.
La musique boue tous les matins, secoue les franges de la maison, de la salle de bain encastrée à l’étage avec ses étagères de bois biscornus jusqu’aux toilettes sèches et froides du bas, dans un coin. La table jaune se meuble rapidement de petit-déjeuners. Et puis tout et tous partent en étoile de chaque côté, se fabriquer une belle journée. Alors je remonte l’escalier. Entre les lits et la salle de bain, j’ai laissé de la place pour un bureau, pour un panneau de schémas colorés, et plein de livres. J’étudie. C’est ce dernier espace que je me suis octroyé.