Pour Egon Schiele

03/04/2018

En 1918 Egon Schiele mourrait, il avait tout juste 28 ans. C’était un dessinateur hors pair entré brillamment à l’Académie de Vienne en Autriche, puis bruyamment expulsé, parti s’inspirer du maître de l’Art nouveau ou appelé Jugenstil, le dénommé Gustav Klimt. Mais la plume d’Egon se lâche et se promène seule sans maître. La bataille de Klimt est celle du décoratif, celle de Schiele est le trait, la découpe. Les paysages sont comme des respirations dans une oeuvre emplie de nus que Schiele réalisera surtout de ses vingt à ses vingt cinq ans, année où sa femme décida qu’elle serait son seul modèle. Le tranché, le tour du corps des humains ou des arbres, à la peinture ou au dessin semble être réalisé au scalpel, signe une composition radicale et expressive. Les corps des femmes s’étendent osseux presque jamais entiers, pour le peintre qui les regarde souvent en plongée, ses autoportraits respirent la distorsion, rien n’est plein, rien n’est complet, la ligne est partout le sismographe d’une terrible anxiété. Et si l’érotisme fait rapidement le succès d’Egon Schiele, la douleur ou la folie, l’absence habitent les yeux des modèles. On sent la faim et la misère habiter leurs êtres. Un halo de gouache blanche cerne parfois une figure d’aquarelle sur fond crème. Les modèles sont brutalisés et magnifiés tout à la fois, leur présence est ténue, quelque chose de frêle traverse les vues de masures, les nus de femmes, et les petits arbres soutenus sous un ciel lourd. Là où il donne éclat, il reprend ailleurs. Quand il offre une auréole, il décime les jambes, quand il se permet un portrait en pied, il retire l’intelligence par le regard, là où il donne une profondeur de regard, il retire la permanence par la vibration transparente de l’aquarelle. Et il y eut la guerre. Il en revint. L’empire tombait. Klimt mort, Egon Schiele avait tous les égards de la Secession. Et la grippe espagnole l’emporta comme elle avait emporté sa femme enceinte. Alors on comprend que la mort avait eu partout pris place dans son oeuvre. Il l’avait cotoyé tout du long avec des frères et soeurs mort-nés ou décédés en pleine enfance, un père emporté par la syphilis. Ses portraits, ses paysages, ses nus sont des présences pures, cela veut dire que la mort y embrasse la vie tout entière, cela veut dire que l’impermanence est reine. Les modèles d’Egon Schiele semblent prendre la pose, on ressent l’avant et l’après de celle-ci, les modèles d’Egon Schiele n’ont que peu d’identité, ils sont le véhicule d’une émotion, d’une arrivée sur la feuille mais pour un temps compté. Ainsi, Egon Schiele disait «  Je suis homme, j’aime la mort et j’aime la vie ».

Pour Egon Schiele

Des montagnes pour épaules
des verres brisés
pour cerne de bras
des gibolles en chaussettes
et parfois toute la tête perdue
sous un amas blanc
derrière une blouse
que l’on retire

Il a payé sa passe
ses bords de feuille
lui servent de tronçonneuse
Elle, elle suce ce temps
pour se dire bourgeoise cochonne
aun divan.
Il est son Tintoret
viennois malade
et pas gras.

Et quand il s’intéresse au visage
c’est un peu le sien en femme
au noir qui bave pour les yeux
au menton qui plonge
vers le reste de l’instrument,
le corps.